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Prix littéraires


Prix littéraire 2021 Arts et Lettres de France

prix nouvelle 2021

 

La nouvelle primée se trouve dans la rubrique 'Histoires bilingues' de ce blog.


04/07/2021
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L'instituteur

 

L’instituteur :  3e place du concours de nouvelles organisé par l’association Les Amis de la Bibliothèque d’Argeles en 2011. 

 

 

 

Il était 20h 37, le train de Paris-Cerbère venait de passer. Un homme attablé, le visage tourné vers la fenêtre, regardait sans le voir ce rai de lumière courir dans la nuit. L'homme, d'une cinquantaine d'années, avait le teint mât des hommes du sud et sa peau était trouée de larges pores. Sa chevelure importante grisonnait sur les tempes et de profonds sillons envahissaient son large front.  Sa physionomie trahissait un mode de vie qui bannissait l'activité physique. Sur la table, se trouvaient une tasse d'un café fumant et un paquet de feuilles. Lorsque le train disparut, l'homme, un stylo rouge à la main, tourna machinalement la tête vers ses copies et reprit ses corrections. Il venait d’évaluer ses élèves sur l’héritage de l’empereur Napoléon.

Comme souvent les personnes qui vivent seules, il s’exprimait à haute voix. De cette façon, sa solitude lui semblait moins pesante. Il s’adressait à quelqu'un, à un autre 'moi'. Il discutait avec ce double comme il ne l’aurait fait avec personne. Oh, bien sûr, il était forcé de parler à ses élèves, c'était d'ailleurs suffisamment pénible comme cela! Ces bons à rien à qui il fallait répéter dix fois, vingt fois, trente fois les mêmes choses et qui, de toute façon, n'écoutaient rien. Il y avait ses collègues aussi. Il se sentait étranger à eux et ne savait jamais quoi leur dire. Eux n’avaient visiblement pas ce problème car à chaque fois qu'il les observait, ils étaient toujours en pleine discussion. De quoi pouvaient-ils bien bavarder à longueur de journée? Quels sujets de conversation avaient-ils? Il se posait la question mais n'avait cependant nulle envie d'y trouver une quelconque réponse. Il s'en fichait. Il n'avait jamais eu besoin d'amis, ce n'était pas maintenant que cela allait changer. Il était surtout intrigué. Oui, intrigué, c'était le mot. En revanche,  il se faisait un point d'honneur à être poli. Il n’y avait pas un jour où il ne salua ses collègues d’un bonjour ou d’un signe de tête. Il n'aurait pas supporté qu'on le traitât de mal élevé.

Lorsqu'il était de surveillance pour la récréation, il sortait mais ne se joignait jamais au groupe d'enseignants qui se réunissaient autour d'un café. Il faisait les cent pas dans la cour qu'il parcourait de long en large. Cette surveillance était un vrai calvaire ; supporter les cris d'enfants, les hurlements stridents, les pleurs incessants. Mais ce qu’il exécrait le plus, c'était de les sentir courir en tous sens autour de lui comme des insensés et lorsque, par malheur, un enfant l’effleurait, il ne pouvait réprimer un mouvement de dégoût. C'était également le cas lorsqu'il fallait en soigner un. Tout son être se révulsait lorsqu'il devait désinfecter une plaie sanguinolente, leur rincer la bouche si par malheur une dent tombait ou bien tâter de la main un front transpirant pour évaluer une possible fièvre, sans parler des vomis et autres écoulements nasaux. Bien que ces tâches n’étaient pas quotidiennes, elles intervenaient bien trop souvent à son goût.

Il prit la tasse de café entre ses deux mains pour se réchauffer. Le froid était arrivé et avec lui la mauvaise saison aux jours courts. Il vivait dans une petite maison de village au cœur du vieux Banyuls et l'hiver y était rude car la maison, bien qu'ayant des murs épais, était humide.  Les journées étaient parfois glaciales lorsque soufflait la Tramontane. Aucun vêtement n'était assez épais pour l'arrêter. Elle vous transperçait de par en par. Le contact chaud avec cette tasse lui fit grand bien. Ce plaisir fut de courte durée. La vue des copies sur lesquelles étaient inscrits les noms de ses élèves le ramena à sa triste réalité.  Même dans sa propre maison, l'école se rappelait sans cesse à lui. Elle s'insinuait partout, le poursuivait.

Il approcha une copie et se pencha dessus. Ses yeux se portèrent immédiatement sur le nom ; « Louis. Ah, lui, toujours à faire ses coups en douce. Pas courageux pour un sous. Si les autres se font punir à sa place, cela ne lui pose aucun problème. Encore, s'il travaillait bien ! Il n'a rien pour lui celui-là. Ensuite, qui est-ce ?... Laura. Toujours un pet de travers celle-là. A chaque fois qu'elle m'adresse la parole, c'est pour gémir ou pleurnicher. Et j'ai mal ici Maître, et j'ai mal là Maître, et je ne me sens pas bien Maître, et je me suis tordu le doigt Maître, et untel m'a tiré les cheveux Maître... Ses jérémiades sont insupportables ! Passons à la copie suivante. Oh, non, pas lui ! Je vais encore m'arracher les yeux pour tenter de comprendre son écriture de cochon. Et par dessus le marché, c'est rempli de fautes. Paraît-il qu'il est dyslexique. Dyslexique mon œil ! Il n'apprend jamais ses leçons, voilà tout! Un bon coup de pied dans les fesses, voilà ce dont il aurait grand besoin ! Je corrigerai cette copie plus tard. Voyons qui nous avons à présent... Laurette, la petite sainte-n'y-touche de la classe. Que des manières ! Toujours mielleuse quand elle vient me voir. Elle se paye ma tête, j'en suis sûr. N’empêche qu’elle, au moins, me présente des copies correctes. C'est toujours ça. Passons à celle de Lina. Bah, cette gamine est répugnante. Elle coule du nez à longueur de journée. Je me demande si elle n'a pas de poux. Je suis sûr que oui. Ensuite, c'est Hugo. Affligeant cet Hugo. Il fait de son mieux mais il n'arrive à rien.  Qui a-t-on à présent?... Sara. La sorcière. On dit que les enfants naissent sans vices ni malice. Pas elle. Cette fille est née méchante, j'en suis persuadé. Mes collègues disent qu'elle a des circonstances atténuantes car ses parents sont alcooliques.  En fait, elle profite de cela pour ennuyer tout le monde, et moi le premier. Mes collègues m'exaspèrent, il faut toujours qu'ils cherchent des excuses aux gamins. Tout à fait comme ma mère. A ça, les enfants, elle en prenait soin ! « Les pauvres petits chéris ». Il n'y en avait toujours que pour eux. Ma mère était la mère des élèves de l'école sauf un, le sien. Elle ne me voyait pas, n'était jamais attentive à mes soucis. Et lorsque je lui demandais un peu d'attention, cela avait le don de l'agacer. De quoi me plaignais-je ? J'avais tout ce qu'il fallait, mieux, j'avais une mère instit ! Une aide aux devoirs individualisée (en fait je faisais mes devoirs seul. Elle me disait que comme j'étais intelligent je pouvais me débrouiller tout seul), pas de problème d'argent, une mère équilibrée, un foyer...bref, je n'avais besoin de rien…. sauf d'elle. Alors, bien sûr, je ne pouvais pas rivaliser avec ces malheureux de l'école ! Je les hais, je les hais tous, ces gosses. Ils m'ont tout volé, ma mère, mon enfance ». Sur ces paroles, il se leva. Regarda ses copies avec dédain et leur tourna le dos. La nuit le calmerait.

Dimanche était le jour de visite. A 15h, il sortait de chez lui et marchait jusqu'à la maison de retraite. En passant devant le fleuriste, il ne manquait jamais de prendre un petit bouquet de roses rouges. Lorsqu'il passait le hall d'entrée, tous les employés le saluaient respectueusement. Depuis le temps qu'il venait, il faisait partie de la famille. A la réception, Brigitte lui disait: « Elle est dans sa chambre » ou bien « Elle est à la salle de télé ». Ce jour là, elle était dans sa chambre. Il se dirigea vers les escaliers et monta tranquillement les quelques marches qui le menaient au premier étage. Là, il obliqua vers la gauche et avança d'une vingtaine de mètres. Il s'arrêta devant la porte 107, prit une profonde inspiration, frappa à la porte et entra. Une vieille dame aux cheveux d'un joli blanc uniforme se tenait assise sur un fauteuil placé devant la fenêtre. Son regard vide était dirigé vers l'extérieur. Il faisait beau temps ce jour-là. Une légère Tramontane avait dégagé le ciel et une luminosité presque aveuglante inondait la pièce.

« Bonjour maman. La vieille dame tourna lentement la tête vers le visiteur. Elle sourit largement.

- Mon petit, comme cela me fait plaisir de te voir !

- Je t'ai amené des fleurs.

- Elles sont très jolies, je te remercie. Viens t'asseoir près de moi et raconte, dit-elle en montrant le siège destiné au visiteur, as-tu bien travaillé, mon petit Gaëtan? Comment s'est passé ta journée d'école? Et Alice, a-t-elle enfin compris la technique de la multiplication? J'ai passé un temps fou à lui expliquer.

- Maman, fit l'homme en soupirant, je ne suis pas Gaëtan, je suis ton fils et je ne suis plus à l'école.....enfin, si mais....

- Mais bien sûr, vous êtes tous mes enfants ! J'espère que je ne leur manque pas trop. Mais, dis-leur que je vais bientôt revenir. Je dois me reposer un peu, voilà tout. »

Sur le chemin du retour, l'homme passa par l'école, vide en cette journée dominicale. Il s'arrêta et considérant ce bâtiment qui lui inspirait un profond dégoût. « Je les hais, je les hais tous autant qu'ils sont ».  Puis, il passa son chemin et rentra chez lui. Il avait encore des copies à corriger.


23/05/2021
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