Dans la forêt
Comme tous les jours, depuis le début de mes vacances que je passais dans ma montagnette ariégeoise, je partais en forêt promener mes chiens et faire un peu d'exercice par la même occasion. Je me sentais l'âme d'une exploratrice car une myriade de sentiers se croisaient et se perdaient dans cette mystérieuse et inquiétante étendue sylvestre. Pourquoi inquiétante ? De quoi a-t-on peur dans nos forêts françaises ? A part une laie protégeant ses petits ou une branche morte nous tombant sur le museau, il n'y a rien de vraiment dangereux. Finalement, nous – du moins les femmes – sommes victimes de nos frayeurs télévisuelles. Combien de fois a-t-on tremblé – ou pas – devant ces thrillers américains mettant en scène une femme terrorisée poursuivie par son futur meurtrier perdue au beau milieu d'une forêt sinistre ? Et de nous demander, mais que fichait-elle en pleine nuit dans une forêt sombre et lugubre ? Bref, le seul loup que l'on peut croiser dans nos forêts n'est autre que notre prochain, ou si vous préférez, notre voisin.
C'est donc avec ces séduisantes réflexions que je poursuivais mon chemin à la recherche de crottins. Pourquoi des crottins ? Il faut que je vous explique que des balades à cheval passent par la forêt et que grâce à elles, les chemins sont bien tracés. Je traquais donc les crottins qui me mèneraient au village voisin où était situé le centre équestre. Malgré la fraîcheur de la rivière en contre-bas, je sentais des gouttelettes de sueur me couler le long du dos. Mes deux vieux chiens tiraient eux aussi une belle langue rose d'où tombait régulièrement une goutte baveuse. J'arrivai à une croisement. J'observai alors le sol attentivement toujours à la recherche de mes crottins pour décider quelle piste suivre ; à gauche je distinguai des traces de roues et des fougères écrasées, et à droite pas de crottins mais des empreintes de sabots. J'optai donc pour la piste de droite. Après avoir descendu un vallon, traversé la rivière, remonté le flanc opposé, je décidai que j'en avais assez. Le village n'était toujours pas en vue mais tant pis, j'étais assoiffée et cette marche m'avait épuisée. Je décidai donc de rebrousser chemin. Les chiens, toujours attentifs à mes moindres faits et gestes, n'avaient pas eu besoin que je les prévienne. Ils me suivaient telles des boules d'amour aimantées.
Alors que je m'approchais du croisement précédemment évoqué, j'entendis une portière claquer. Mes yeux cherchèrent l'origine de cette brèche acoustique, amplifiée par la quiétude de la forêt, et tombèrent sur la silhouette d'un homme à travers les branches dont la posture était sans équivoque ; il était en train de vider sa vessie ou plus crûment, il était en train de pisser. Selon toute probabilité il ne m'avait pas repérée car, ayant fini sa besogne, il se retourna et échangea des mots grossiers avec un autre individu plus âgé. Le ton monta. Je filai en douce, espérant ne pas me faire remarquer malgré mon sublime tee-shirt orange. Mais comme dans toute bonne fiction qui se respecte, je marchai sur une branche morte qui craqua et laissa échapper un bruit sec qui me parut – tout à fait subjectivement – déchirer l'atmosphère. J'entendis alors les hommes m'interpeller. Le ton de leurs voix ne laissait nullement présager un échange cordial. Je pris donc mes cliques et mes claques et je détalai, les chiens collés à mes basques tout contents, pensant probablement que j'étais d'humeur joueuse. Inutile de vous dire, qu'ils se trompaient lourdement. Après quelques foulées qui me parurent un marathon, la chaleur - si elle n'était pas écrasante la rivière passant non loin, était un tant soit peu accablante tout de même – je commençai à me résoudre au pire. Heureusement que mes assaillants – qu'avais-je surpris ? Braconnage ? Meurtre ? - n'étaient pas non plus des sportifs aguerris. Néanmoins, ils se rapprochaient dangereusement.
C'est alors qu'il se passa une chose que je ne m'explique toujours pas. Dans ma détresse – et ma solitude, mes chers toutous ne m'étant d'aucune aide – je me surpris à enlacer un arbre – un hêtre me semble-t-il - de toutes mes forces comme si je m'agrippais à une bouée de sauvetage. Je sentais l'écorce contre ma joue et mon corps plaqué au tronc solide et puissant. Je ressentis un fluide, une énergie parcourir mon corps comme si l'arbre m'avait transmis sa force. Pendant un instant, mon stress sembla se volatiliser et une plénitude m'envahit. J'en oubliai presque la situation périlleuse dans laquelle je me trouvais. Puis j'entendis des cris, qui se transformèrent en hurlements de détresse et de terreur. J'ouvris les yeux. Hystériques, les deux hommes gesticulaient frénétiquement comme si une force invisible les assaillaient de toutes parts. Une pluie acide s'abattait sur eux. Une pluie qui tombait non pas du ciel mais des feuilles des arbres. Toujours accrochée à mon arbre, je regardai la scène incrédule. Se pouvait-il que cet être vivant que j'étreignais ait répondu à mon appel en enjoignant ses compagnons à me protéger de mes propres congénères ?
Je ne sais comment je rentrai chez moi mais un moment plus tard, je me retrouvai assise sur mon canapé comme sortant d'une torpeur quasi hypnotique, les chiens couchés à mes pieds ronflant paisiblement. Comment expliquer ce qui s'était passé ? Le fallait-il vraiment ? Je mourais d'envie d'appeler mon compagnon pour tout lui raconter mais je renonçai. Mon histoire était trop irrationnelle. Je devais l'écrire, voilà tout.
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