Contemplations sous le ciel de Jersey
Les Îles Anglo-Normandes sont fascinantes à bien des égards. Elles sont une enclave dans les eaux françaises mais dépendent de la couronne britannique tout en ne faisant pas partie du Royaume-Uni. Elles sont ce qu'on appelle des Crown Dependencies. De leur histoire franco-britannique, elles ont gardé les langues. Si le français n'est plus langue officielle depuis 1948 à Guernesey, il n'en demeure pas moins qu'il est encore abondamment utilisé dans l'administration. En revanche, à Jersey, le français est aujourd'hui encore l'une des deux langues officielles avec l'anglais.
C'est peut-être une des raisons pour laquelle Victor Hugo décida de s'y installer durant son exil. En effet, il résida à Jersey de 1852 à 1855 et à Guernesey de 1855 à 1870. C'est sur les îles Anglo-normandes que Victor Hugo écrivit ses plus grandes œuvres : Les Contemplations (1856), La Légende des siècles (1859-1883), Les Misérables (1862), Les Travailleurs de la mer, qui se voulait un hommage particulier aux habitants des Îles Anglo-Normandes, (1866), L’Homme qui rit (1869).
Voici un magnifique poème qui ne manque pas d'évoquer la beauté de ces îles hybrides :
Éclaircie
L'océan resplendit sous sa vaste nuée.
L'onde, de son combat sans fin exténuée,
S'assoupit, et, laissant l'écueil se reposer,
Fait de toute la rive un immense baiser.
On dirait qu'en tous lieux, en même temps, la vie
Dissout le mal, le deuil, l'hiver, la nuit, l'envie,
Et que le mort couché dit au vivant debout :
Aime ! et qu'une âme obscure, épanouie en tout,
Avance doucement sa bouche vers nos lèvres.
L'être, éteignant dans l'ombre et l'extase ses fièvres,
Ouvrant ses flancs, ses reins, ses yeux, ses coeurs épars,
Dans ses pores profonds reçoit de toutes parts
La pénétration de la sève sacrée.
La grande paix d'en haut vient comme une marée.
Le brin d'herbe palpite aux fentes du pavé ;
Et l'âme a chaud. On sent que le nid est couvé.
L'infini semble plein d'un frisson de feuillée.
On croit être à cette heure où la terre éveillée
Entend le bruit que fait l'ouverture du jour,
Le premier pas du vent, du travail, de l'amour,
De l'homme, et le verrou de la porte sonore,
Et le hennissement du blanc cheval aurore.
Le moineau d'un coup d'aile, ainsi qu'un fol esprit,
Vient taquiner le flot monstrueux qui sourit ;
L'air joue avec la mouche et l'écume avec l'aigle ;
Le grave laboureur fait ses sillons et règle
La page où s'écrira le poëme des blés ;
Des pêcheurs sont là-bas sous un pampre attablés ;
L'horizon semble un rêve éblouissant où nage
L'écaille de la mer, la plume du nuage,
Car l'Océan est hydre et le nuage oiseau.
Une lueur, rayon vague, part du berceau
Qu'une femme balance au seuil d'une chaumière,
Dore les champs, les fleurs, l'onde, et devient lumière
En touchant un tombeau qui dort près du clocher.
Le jour plonge au plus noir du gouffre, et va chercher
L'ombre, et la baise au front sous l'eau sombre et hagarde.
Tout est doux, calme, heureux, apaisé ; Dieu regarde.
Victor Hugo, Marine-Terrace, Jersey, juillet 1855
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 26 autres membres